Chili - Cañete - Chroniques d’un procès politique par Michael Barbut (2)

Publié le par collectif.mapuche.over-blog.com

OBSERVATEUR INTERNATIONAL (mandaté par France Libertés)

 

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Jeudi 25 Novembre

 

A 9h du matin, s’ouvre au tribunal de Cañete, la deuxième journée de l’audience du fiscal Elgueta. Le dispositif policier est toujours aussi impressionnant. Celui-ci est escorté par plusieurs gendarmes, une force d’intervention spéciale réalise des rondes d’observation autour du tribunal. A l’intérieur de la salle d’audience les effectifs de gendarme sont deux fois plus importants qu’en temps normal. Tout ceci concoure à la dramatisation de l’intervention du procureur Elgueta, attestant la thèse du procureur dont le témoignage entend mettre en évidence la violence des accusés.

Les journalistes sont plus nombreux qu’hier, puisqu’aujourd’hui il n’y a aucun doute que le procureur Elgueta doit intervenir. En outre, de nombreux avocats chiliens sont venus assister au témoignage du procureur.

 

Le procureur Cruz, en charge de mener l’accusation contre les accusés Mapuches, reprend son interrogatoire. Il interroge à présent Elgueta sur la journée du 15 Octobre 2008, précédant et conduisant à l’attaque dont il a été victime.

Elgueta raconte qu’au cours de cette journée, il a été informé que des policiers en patrouille ont été attaqué dans la zone de Puerto Choque (communauté dont sont issus la majorité des accusés). Puis vers 18-19h, il est informé que Jose Santos Jorquera (voir chronique d’hier pour plus d’informations sur ce personnage) et sa famille ont été attaqués à leur domicile par un groupe de personnes à visages masqués (« encapuchados »). Elgueta, considérant que Jorquera et sa famille courent certainement un danger, en raison des menaces proférés à l’encontre de sa personne par les auteurs de l’attaque, décide de rendre visite à Jorquera pour prendre sa déposition et lui assurer une protection policière. Au cours de son témoignage, il manifeste à demi-mots sa sympathie pour Jorquera. Il le décrit avec une pointe d’affection comme un petit vieux têtu (« viejito profiado »), qui habite la maison qu’il occupe aujourd’hui depuis plus de trente cinq ans. Ses enfants y sont nés. Il décrit aussi son fils comme un homme simple et enraciné dans le terroir. Il fait état des régulières crises d’asthme de la femme de Jorquera. En bref, il manifeste une connaissance intime de la famille Jorquera.

Il affirme à la barre que lors de sa visite au domicile de Jose Santos Jorquera, suite à l’attaque dont il a été victime, celui-ci lui a indiqué que malgré les visages dissimulés, il a pu reconnaitre les frères Parra, ainsi que Ramon Llanquileo, tous deux accusés dans le présent procès.

 

Suite à cette visite, il décide de rentrer à Cañete. Il est alors 00h30 et nous sommes dans la nuit du 15-16 Octobre. C’est alors que lui et l’escorte qui l’accompagne sont pris dans une « embuscade ». Il affirme haut et fort que ce ne fut pas un « incident » mais une « attaque ». Puis, il décrit l’intensité de l’attaque avec une grande précision. Il parle d’odeur de sang et de poudre. Résultat de cette attaque : un blessé très grave et deux blessés graves. Il a lui-même été légèrement blessé.

Pour lui, l’attaque, dont sa caravane a été victime, est directement lié aux évènements intervenus quelques heures plutôt chez Jorquera. C’est une manière d’établir la preuve que les personnes identifiées chez Jorquera ont participé à l’attaque dont il a lui-même été victime.

En outre, il estime qu’il a été attaqué car il représentait un véritable problème pour la CAM, dans la mesure où son travail d’enquête et d’harcèlement aux auteurs de délits commençaient à porter ses fruits et à permettre, entre autres choses, la réduction de soustraction de bois à laquelle s’adonnerait la CAM.

Par la suite, le procureur Cruz demande à Elgueta de commenter plusieurs séries de photos qu’il lui présente. La première photo montre une vue aérienne de la zone où s’est produit l’attaque. Puis vient une série de photos du lieu de l’ « embuscade », prises sous divers angles. Elgueta les décrit et s’appuie sur elles pour préciser son récit de l’ « attaque ». Puis une autre série est présentée, cette fois-ci les photos font état de l’état du véhicule le lendemain de l « attaque ».

Enfin, une dernière série de photos montre l’incendie, sous diverses coutures, de la maison patronale de la propriété Ranquilhue, appartenant à l’entreprise Forestal Mininco, incendie datant de 2005. Une photo présentée juste auparavant montre des tracts sur un sol de terre. Il s’agit de tracts de la CAM déposé sur le lieu du crime et revendiquant l’incendie.

 

C’est ainsi que se conclut le long interrogatoire du procureur Elgueta par le procureur Cruz.

Celui-ci au cours de son témoignage laisse clairement entendre que plus qu’un travail d’enquête, il était en croisade contre la CAM, ses actions délictueuses et la terreur que ses membres semaient dans la zone du lac Lleu-Lleu. A de nombreuses reprises, c’est avec mépris qu’il s’exprime à l’endroit de la CAM, dont à aucun moment il fait état de la nature politique de son combat. Il préfère souligner l’extraction illégale de bois à laquelle s’adonne la CAM, comme une fin en soi de l’organisation. On a l’impression parfois qu’il considère la CAM comme une organisation armée à but lucratif. Il aimait son travail et ne voulait pas l’abandonner, chose qu’il devra faire suite à des menaces dont sa femme aurait été victime.

 

C’est au tour du représentant de l’Etat chilien, constitué en plaignant, d’interroger Elgueta.

Seulement quelques questions sans grande importance.

La parole revient donc aux avocats de la défense. Le premier avocat de la défense, ?, fait en grande partie voler en éclat le témoignage d’Elegueta. Ces questions montrent la vacuité des dires d’Elegueta. Tout d’abord en rappelant au procureur que dans une précédente déclaration, il n’avait pas rapporté le récit de Jorquera de la même manière qu’aujourd’hui. En effet, dans sa déclaration du 17 Octobre 2008, les noms de Llanquileo et Parra n’étaient pas mentionnés. En outre, l’avocat de la défense rappelle qu’il existe des déclarations de Jorquera où celui-ci ne mentionne pas les noms des Parra et de Llanquileo dans le cadre de l’attaque dont il a été victime. L’avocat entend ainsi montrer que ces noms ont été ajoutés par la suite dans le but d’apporter des preuves plus concrètes et tangibles que des supputations de présence, permettant de construire une accusation sérieuse. En bref, il disqualifie les témoignages d’Elegueta et Jorquera selon lesquels les frères Parra et Llanquileo auraient fait parti des auteurs de l’attaque au domicile de Jorquera.

Puis, au travers de nombreuses questions, il entend montrer encore un peu plus clairement les liens d’amitié, voire d’intimité existant entre Elgueta et Jorquera. Il fait dire au premier qu’il connaissait parfaitement la propriété du second. Ressort de ce jeu de questions-réponses une odeur de connivence entre les deux hommes.

Enfin, il montre qu’aujourd’hui dans le cadre de son travail de procureur dans la circonscription de Talcahuano, Elgueta a pour supérieur administratif le procureur Cruz chargé de mener à bien l’accusation de ce procès. Ainsi donc, tout laisse à penser qu’Elgueta aurait tout intérêt à apporter un témoignage allant dans le sens de l’accusation du procureur Cruz. En d’autres termes, plane sur le témoignage d’Elgueta le doute de sa subordination aux allégations de son supérieur hiérarchique, en partie maitre de l’avancement de sa carrière.

Cette subordination hiérarchique n’est certainement pas à l’origine de la véhémence des charges d’Elgueta contre les accusés et de la totale harmonie entre son témoignage et l’accusation du procureur Cruz. Celle-ci résultant bien plus de visions du monde partagées et de conception de l’Etat et de l’intérêt général alignées intellectuellement l’une sur l’autre.

Toutefois, juridiquement parlant, il permet de disqualifier l’objectivité et l’impartialité du témoignage.

 

C’est ainsi que prend fin cette nouvelle journée d’audience. Demain le procureur Elgueta sera interrogé par les autres avocats de la défense, l’espoir et la confiance d’une issue favorable aux accusés sont au gout du jour du côté des familles et des proches.

 

Par Michael Barbut

Publié dans Témoignages

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