Chili - Cañete - Chroniques d'un procès politique des 7 & 10 Décembre 2010. Par Michael Barbut (7)

Publié le par Collectif Mapuche

 

OBSERVATEUR INTERNATIONAL (mandaté par France libertés)

 

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Cette journée est entièrement consacrée à la déclaration d’un nouveau témoin protégé. Son intervention constitue une des pièces maitresse de l’accusation.

A nouveau, les accusés se lèvent pour quitter la salle avant même que le témoin commence à déclarer. Toutefois quatre des accusés restent dans la salle d’audience.

Aussi, comme hier, les avocats s’opposent à la déclaration du témoin. Cette fois-ci, les raisons sont quelque peu différentes. Outre, un rejet de principe de l’usage de témoins secrets, Pablo Ortega invoque que le témoin a aussi la qualité d’imputé. Ce témoin est aussi imputé et c’est pourquoi jusqu’à la sentence il ne devrait pas être autorisé à témoigner. L’ensemble des défenseurs appuie la requête d’Ortega.

Après une relativement longue délibération, cette requête est rejetée par le tribunal qui considère qu’un autre tribunal a permis l’incorporation du témoin à l’affaire.

 

Le témoin déclare sur le déroulement de la journée du 15 Octobre. Pour rappel, ce jour là a été marqué par trois évènements : l’attaque de fonctionnaires de police vers midi, puis le vol avec intimidation chez Jorquera et enfin l’ « attaque au procureur Elgueta.


Les défenseurs relèvent que le témoin n’a pas l’air d’être dans un état normal, il tarde à répondre à certaines questions, il n’a pas l’air d’être en connaissance de ces droits. En outre, ce témoin, présenté aujourd’hui comme le « témoin protégé numéro 26 », a été présenté à la défense avec un autre numéro ce qui constitue une violation du droit à la défense.

Ce témoin a participé à certains des délits qui ont parsemé la journée du 15 Octobre.

Les objections de la défense se multiplient face à la volonté du ministère public d’orienter et de forcer systématiquement les réponses du témoin. Face à ces objections, le représentant de l’Etat fait corps avec le procureur du ministère public. Il considère que les objections « intempestives » de la défense n’ont d’autre bu que d’intimider le témoin.

Ce témoin est clé car il identifie individuellement à la majorité des personnes présentes sur le banc des accusés. Il indique que les armes utilisées par les auteurs des délits ont été mis à disposition du groupe par Llaitul et Huenuche. Il manifeste une connaissance certaine en armement et balistique.

Pendant que la déclaration du témoin suit son cours, une petite manifestation d’une poignée de personnes s’improvise à l’extérieur du tribunal : « Aie Aie Aie » (cri de lutte Mapuche) et « Marichiweu » (1000 fois nous vaincrons) se font entendre jusque dans la salle d’audience, pas suffisamment pour perturber le témoignage.


Le ministère public, une fois de plus, utilise le témoin pour attester sa version des évènements. La plus value du témoignage est certaine, puisqu’elle permet d’identifier plusieurs des accusés.

Toutefois, sa version diffère quelque peu de la version officielle. Par exemple, il parle d’une caravane policière composée de 40 véhicules, alors que le procureur Elgueta évoque seulement 15 véhicules.

Il affirme n’avoir pas tiré au moment de l’attaque.

Une fois l’interrogatoire du procureur Cruz (il faut noter que c’est le procureur en chef qui mène l’interrogatoire, ce qui indique l’importance du témoignage pour la défense) terminé, le représentant de l’Etat intervient. Dans une geste symbolique, avant de poser une question au témoin, il glisse quelques mots à l’oreille du procureur Cruz. Il demande à savoir quelles sont les personnes qui composent le groupe de Llaitul auquel il n’a cessé de se référer durant son interrogatoire. La question importe peu, il convient surtout de noter que le représentant de l’Etat s’aligne dans ces questions et son attitude sur les positions du ministère public. Pour rappel, plusieurs semaines auparavant, suite à la longue grève de la faim de plus de trente prisonniers politiques mapuches, le gouvernement de Sebastian Piñera s’était engagé à cesser de poursuivre les prisonniers mapuches pour terrorisme, se distinguant ainsi des accusations proférées par le ministère public. A en croire l’attitude de l’avocat représentant de l’Etat, on assiste à une confusion entre ministère public et représentant de l’Etat, cherchant l’un et l’autre à aboutir par tous les moyens à la condamnation des accusés et ce au détriment du respect d’un certain nombre de normes dont l’application est nécessaire au respect du juste procès, ainsi qu’à l’établissement de la vérité, ce qui est censé convoquer les parties présentes dans ce tribunal.

 

Après un long interrogatoire, la parole revient à la défense et à nouveau la stratégie suivie par certains avocats consiste à faire le procès du procès, en montrant que l’établissement des preuves et l’identification des accusés se sont réalisés en faisant fi de principes élémentaires devant présider à l’instruction d’une cause.

Pelayo Vial s’appuie sur des déclarations prêtées par le « témoin/accusé » (selon l’expression utilisée par Pablo Ortega, l’un des avocats de la défense) pour montrer les contradictions de son témoignage. En effet, dans des déclarations antérieures, le témoin a identifié une série de personnes et a affirmé qu’ils avaient participé à l’ « attaque » contre le procureur Elgueta. Dans une déclaration du 9 Avril 2009, il a même dit qu’il avait lui-même tiré. Le témoin se défend en reconnaissant avoir menti lors de certaines déclarations. Il a par exemple dit avoir tiré car les policiers ont exercé une pression sur lui pour qu’il reconnaisse quelque chose qu’il n’a pas fait. Il explique aussi que lors de cette déclaration du 9 Avril 2009, ils l’ont pressionné pour qu’il impute Carlos Muñoz Huenuman et Segundo Neguey, alors que ni l’un ni l’autre ont tiré lors de l’ « attaque » à Elgueta.


Finalement, il reconnait textuellement avoir signé une déclaration dans laquelle il ne dit pas la vérité. De même, dans une déclaration, il impute Victor Llanquileo et dans une autre non.

Autre fait troublant, le 18 Mai 2009, suite à une déclaration réalisée dans le centre pénitencier de Lebu il a effectué une déclaration et quelques heures plus tard, il a été libéré.

A présent, le témoin prend du temps pour répondre, il se montre peu coopératif. Puis l’avocat interroge le témoin sur une mesure d’abandon de poursuite pour un délit dont il était accusé. Objection du ministère public acceptée par le tribunal. Il lui demande s’il a été détenu pour les faits sur lesquels il a été appelé à déclarer aujourd’hui. Objection du ministère public. Objection nouvellement acceptée par le tribunal. La question vulnérabilise la protection de l’identité du témoin.


C’est au tour des autres avocats de mener l’interrogatoire. Pablo Ortega cherche à obtenir des informations sur les connaissances militaires du témoin. Celui-ci nie en avoir. Ce qu’il sait en matière d’armes, il l’a appris en regardant la télévision selon ses dires. Il nie aussi avoir été inculpé dans des affaires de vol.

C’est pourquoi le dernier avocat à l’interroger entend montrer qu’il a menti. Il demande au tribunal la possibilité d’incorporer à la cause deux documents : un registre des personnes ayant effectué leur service militaire et un document attestant que l’accusé a bien été inculpé dans une affaire de vol, contrairement à ce qu’il affirme aujourd’hui.


Le ministère public demande le rejet de l’incorporation. Il invoque la loi anti-terroriste qui prévoit la nécessité absolue de protéger l’identité du témoin. L’exhibition et l’incorporation de ces documents pourraient révéler l’identité du témoin.

Ici, on touche à ce qu’est l’usage intempestif et abusif d’un certain nombre de dispositions prévues par la loi anti-terroriste qui indéniablement obstrue le droit à la défense, reconnu par une série de traités internationaux dont l’Etat chilien est signataire.

En outre, on assiste à une véritable comédie, dans la mesure où les accusés, les avocats de la défense, le ministère public et les plaignants, les juges et la partie du public issue de la zone de Choque connaissent l’identité du témoin. En réalité, il s’agit indéniablement pour le ministère public d’en faire un « témoin protégé » pour profiter des dispositions légales associées à ce statut, dispositions qui, on l’a vu, réduisent les marges d’interrogation dont disposent la défense et ainsi obstruent le droit à la défense.

 

Suite à l’objection du ministère public, le tribunal demande une trentaine de minutes de pause de l’audience afin de délibérer sur la requête de la défense.

Le moment est important. Il s’agit de faire lumière sur les dires d’un témoin clé pour l’accusation.

Le tribunal refuse d’incorporer les nouveaux documents. Il évoque l’obligation de les intégrer lors de l’ouverture du procès. En outre, selon les dires du président du tribunal, la défense n’a cessé d’évoquer le manque de fiabilité des témoins secrets, il aurait donc du prévoir cette éventualité de mensonges et intégrer ces documents. Scène surréaliste où un président de tribunal rejette la requête de la défense en invoquant la nécessité d’anticiper les mensonges des témoins, qui, rappelons-le, avant de témoigner prête le serment de dire la vérité.


Le tribunal avait donc la possibilité d’éclairer les dires du témoin qui considérant ces antécédents sont plus que douteux. Il a refusé de se saisir de cette opportunité, manifestant ainsi qu’il ne désirait pas connaitre la vérité. Convient-il de rappeler que selon la fiction juridique, qui unit les différents acteurs présents au sein du tribunal, la recherche de la vérité, et ce faisant de la justice, est ce qui convoque les différentes parties. Les quelques remarques partagées ici nous permettent d’en douter.

 

En bref, la journée a été marquée par la déclaration d’un témoin secret qui a affirmé avoir menti lors de certaines de ces déclarations antérieures. Il a menti, parce que des fonctionnaires de la PDI ont exigé de lui qu’ils imputent une série d’individus dans l’attaque au procureur Elgueta. Ainsi donc, il nous offre la possibilité de nous représenter la manière dont a été menée l’enquête sur laquelle s’appuie le ministère public pour exiger la condamnation des accusés à des peines de prison effrayantes.


Après près d’une vingtaine de jours d’observations mais aussi de conversations avec les avocats, les proches des prisonniers et les accusés eux-mêmes, se dégage la sensation d’une grande mascarade. Certains faits condamnent, non pas les accusés, mais le ministère public. Celui-ci est coupable d’avoir écrit une grande histoire, basée sur des faits réels (difficile de contester les incendies, l’échange de tirs entre la caravane policière du procureur Elgueta et des sujets, la pénétration de sujets encapuchés chez Santos Jorquera, etc.), mais dont les auteurs lui sont inconnus. Tout au plus des soupçons, mais pas assez pour condamner. Et puis cette histoire une fois écrite, pourquoi ne pas y faire figurer quelques figures encombrantes de la province, encombrantes car en lutte pour faire valoir les droits du peuple Mapuche, incompatibles avec l’industrie forestière dominant dans la région et les projets d’extraction minières à l’intérieur du lac Lleu Lleu.

 

Ce qui se joue et se négocie au tribunal de Cañete, au-delà du procès de militants de la cause Mapuche, c’est le droit à un procès équitable, une dispute entre accusation et défense dont l’enjeu est l’approfondissement de l’Etat de droit qui souffre de nombreuses entorses dans le Chili post-dictature. Dispute sur fond de luttes politiques : lutte contre le modèle économique ultralibéral qui sévit dans la région, offrant des milliers d’hectares de terres aux uns et condamnant les autres à la pauvreté, mais aussi lutte pour la reconnaissance des droits politiques du peuple Mapuche. Le « contrôle territorial » que n’a eu de cesse de stigmatiser le ministère public dans ce procès ne fait que renvoyer à l’article 7 de la convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT) qui prévoit que « les peuples originaires devront avoir le droit de décider de leurs priorités en matière de développement, dans la mesure où celui-ci affecte leurs vies, croyances, institutions et bien-être spirituel et les terres qu’ils occupent ou utilisent, et contrôler, dans la mesure du possible, leur propre développement économique, social et culturel. »


Cette lutte, portée par des militants Mapuches et leurs avocats, dépasse en partie la cause Mapuche en venant remettre en question la qualité de la transition démocratique chilienne. Elle exige à la justice chilienne plus de cohérence vis-à-vis des traités internationaux (convention 169 de l’OIT, pacte international des droits civiles et politiques ou encore déclaration universelle des droits de l’homme) dont l’Etat chilien est signataire.

 

 

Vendredi 10 Décembre 2010

 

Le ministère public appelle à témoigner un nouvel expert en balistique, qui cette fois-ci a réalisé une enquête sur les faits survenus chez Santos Jorquera. Il affirme que l’impact de balle effectué sur l’affiche électoral mesure 27 mm de diamètre. Il témoigne d’un tir effectué à 8 mètres de distance. Or l’expert balistique, venu témoigner quelques jours auparavant, affirmait qu’un des impacts de balle retrouvé sur le véhicule d’Elgueta, d’un diamètre de 14 mm, provenait d’une distance de 8 mètres. Ainsi donc, si l’on suit les dires de l’expert balistique du jour, le tir analysé sur le véhicule d’Elgueta aurait été réalisé à 4 mètres de distance, ce qui pourrait, selon Pablo Ortega, avocat défenseur, attestait la thèse d’un montage, du moins le tir provoquant l’impact en question aurait été réalisé en marge de la prétendue « attaque » au procureur Elgueta.

 

Michael Barbut

Publié dans Témoignages

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